Qu’attend on d’un jardin sensoriel et que doit on y aménager? Quelles sont les exigences mais aussi les risques à éviter en fonction des populations accueillies
Le Jardin des Cinq Sens
Il n’est pas outrancier de dire que tous les jardins sont sensoriels. Il convient cependant d’apprécier que le simple fait de qualifier un jardin sensoriel, souligne l’importance que l’on accorde à la stimulation des sens qui lui est confiée.
Bien souvent lorsque l’on parle de jardin sensoriel, on s’inspire du jardin des Cinq Sens au Moyen Age dont la littérature médiévale et l’iconographie nous a transmis quelques descriptions. Ce jardin symbolique du paradis perdu a été reconstitué à Yvoire, un village médiéval de Haute Savoie, que l’on peut visiter.
Bien souvent aussi, on confie au végétal cette mission de stimuler les 4 sens (odorat, goût, toucher, vue), laissant aux oiseaux et à une source le soin de l’ouïe.
L’intention suggérée par cette appellation de « jardin sensoriel » se fonde sur la conviction que la stimulation des sens est une base essentielle à la restauration d’émotions, de sensations précisément parce qu’elles seront inspirées par la nature.
Les plantes sensorielles
Il serait difficile de classer les essences végétales en fonction de leur sensorialité. Certaines sont peu odorantes mais offrent une floraison très vive, d’autres ne sont ni odorantes, ni florales, mais disposent de racines, de feuilles ou de fruits au goût très marqué.
D’autres enfin présentent une texture particulière, soit sur sur leur feuillage, sur l’écorce, ou des baies: tantôt très douce, tantôt très rugueuse. Et puis il existe des essences qui offrent tout cela à la fois de façon rythmée avec les saisons.
Ce que nous percevons avec nos sens intacts est cependant bien souvent différents lorsque la perception est altérée par l’âge ou la maladie.
Nous avons vérifié cela en circulant dans des jardins réputés sensoriels équipés de simulateurs de vieillissement, et avons perçu nettement qu’il était essentiel d’ajuster le choix de la palette végétale avec cette altération de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher.
Jardin sensoriel : Toucher le végétal
Il nous est apparu qu’au delà de la sensation perçue en touchant un feuillage par exemple, ce qui importait souvent davantage c’était la différence de perception entre une feuille soyeuse et une autre plus rugueuse que l’on disposera à proximité.
Il peut être avantageux d’envisager de former des massifs avec une diversité d’essences dont la texture évolue de façon progressive par exemple depuis une grande douceur vers une grande rugosité.
Une liste ne saurait être exhaustive, on citera cependant :
les écorces et tiges intéressantes
- Betula utilis jacquemontii (la desquamation de l’écorce avec l’Acer griseum est une source de découverte)
- Phyllostachys nigra – le bambou noir, mais aussi les autres variétés de bambous avec leur écorce lisse,
- Pinus mungo, la forme crevassée des écorces de pins, se retrouvent sur toutes les essences. On privilégiera des variétés dont les dimensions s’ajustent à celles du jardin
- Rosa rugosa (texture rugueuse)
- Gallium aparine plus souvent appelé gaillet gratteron intrigue par sa structure collante
les feuillages aux textures surprenantes
- Stachys lanata (particulièrement soyeux)
- Stipa tenuissima ( une graminée très tendre appelée aussi cheveux d’ange
- Ophiopogon planiscapus Nigrescens – une vivave graminiforme au feuillage noir, surnommée « barbe de serpent »
- Sedum spectabile : la famille des sedum est très riche et offre un choix extraordinaire de couleurs et de textures
Cette petite liste n’est qu’une invitation à explorer la richesse de la botanique qui offre des opportunités d’association de textures que l’on pourra disposer en respectant leurs compatibilités de façon par exemple à organiser une gradation de sensations qui pourront être perçues simplement en passant la main sur la surface de leur feuille.
Il convient évidemment de les disposer sur une butte ou un talus afin qu’elles soient à portée de main. A moins de proposer une expérience pieds nus, ce qui conviendra par exemple à des enfants autistes ou handicapés mais valides, en marchant sur une pelouse ou un tapis de mousse.
La suggestion de l’expérience pieds nus pour des personnes âgées dépendantes se heurte souvent à leur difficulté à se déchausser pour se rechausser ensuite.
Regarder autour de soi
Le jardin s’impose lorsque l’on ne souffre pas de déficience visuelle par le regard. Tout y est l’occasion de décliner un spectacle riche en prenant garde à respecter la perception visuelle qui dans bien des cas s’avère défaillante.
C’est pourquoi, il convient de repenser l’architecture végétale afin de la rendre la plus lisible possible. Alterner avec de fortes nuances les différentes profils et horizon, mettre en valeur les formes particulières en les associant ou en les isolant, regrouper les essences par couleurs homogènes, répartir dans le jardin les hauteurs différentes.
La richesse de la flore et la diversité apportée par le rythme des saisons multiplient les possibilités.
Ainsi il sera intéressant d’associer les écorces rouges du Cornouiller (Cornus sanguinea), avec le feuillage des Heuchères (Heuchera Cherry Cola) sans oublier le feuillage d’automne que revêtent qu’offrent le Cotinus, le Sumac de Virginie ou certaines variétés d’Acer palmatum.
Les couleurs !
Rouges encore seront les fleurs de certaines Achillées , Echinacées, Geranium vivaces, et la liste serait bien trop longue pour qu’il convienne des les citer ici. Et l’on hésitera pas non plus pour l’hiver à mettre en valeur les baies lorsqu’elles ne sont pas toxiques.
La profusion des possibles se règle avec l’harmonie recherchée et la finesse des nuances que l’on souhaite offrir au regard.
Ainsi à la monotonie d’un massif monochrome, on préférera un dégradé progressif déclinant une couleur ou l’évolution du feuillage entre deux couleurs.
Jardin sensoriel: Les profils
Proposant une rivière végétale qui s’écoulerait depuis un lierre bicolore (jaune et blanc ou vert et blanc) vers un lit bordé d’Aegopodium podagraria dont l’association de vert et de blanc sur les feuilles sera rythmée par les verts plus vifs de la Festuca glauca, pour évoluer ensuite sur des ilôts d’Hosta, bordés de Lamium maculatum
Les rives de cette rivière végétale pourront être suivant le terroir être bordées d’Hackonechloa ou d’Ophiopogon. Cet exemple n’est qu’une suggestion pour illustrer l’intention. Le fait même d’offrir une séquence végétale dont les nuances sont rendues lisibles, invitent à réagir, à compléter la série par une nouvelle variété qui y trouverait sa place.
Et c’est précisément cela qui est recherché aussi , stimuler le regard et susciter des réactions et des propositions par le résident.
Structurer l’espace, former les massifs, aménager des atmosphères différentes, créer des nuances entre les vides et les pleins, répartir l’ombre et la lumière, former des reliefs, adapter les pentes, pour à la fois rassurer sur l’ergonomie et l’adaptation du jardin à une expérience bienveillante.
Sentir la nature
Bien sûr lorsque l’on parle d’odeurs du jardin, on pense en premier lieu aux plantes aromatiques. Mais le champ est bien plus large si l’on reconnait aux plantes toutes les richesses de parfums que peuvent émettre leurs racines, tiges, feuillage, fleurs et fruits.
L’odorat est évocateur de sensations tant par les bonnes que les mauvaises odeurs. Certaines plantes sentent mauvais, d’autres réjouissent les narines, on se plonge dans certains calices floraux comme une fuira l’odeur de certaines racines.
Percevoir, reconnaître et discerner ces réactions face à des stimulations sensorielles, est une expérience qui vient toucher aux racines de la construction de la personne lorsqu’enfant, elle a pu faire d’elle-même ses explorations de la nature.
C’est une construction personnelle, dont certains handicapés ont pu être privés, n’ayant pu parce qu’ils circulaient dès leur plus jeune âge dans des fauteuils roulants, respirer l’odeur de la terre humide entre leurs doigts, tomber le nez dans la mousse ou un tapis de feuilles.
C’est aussi à ces jardins que nous confions cette mission d’apprendre ou de retrouver ces évocations sensorielles qu’offre la nature.
Les plantes aromatiques
Elles sont si nombreuses qu’il serait vain de tenter d’en établir la liste. Il ne s’agit pas cependant de former un herbarium exhaustif, mais de choisir parmi elles, celles qui offriront des expériences différenciées et perceptibles.
Le handicap, le vieillissement altèrent souvent l’odorat, il est important pour éviter la confusion, de rendre ces plantes accessibles, de les disposer pour celles qui n’ont pas une grande hauteur à porter de nez, de ne pas associer avec trop de proximité des essences qui auraient une odeur très forte, au risque de ne plus pouvoir les discerner.
En utilisant le relief d’un jardin, ou en le formant (talus, butte, muret…) lorsqu’il n’existe pas à l’origine, on offrira une déambulation au milieu de plantes évocatrices, de souvenirs, de cuisine, de parfums.
Il convient d’avoir en mémoire que les plantes aromatiques rythment les saisons, et que qu’il ne faut pas se limiter au printemps ou à l’été pour stimuler les sens.
Les odeurs sont parfois aussi puissantes en automne ou en hiver, avec celles de la pluie sur la surface d’une pierre, les pommes de pins, les champignons, les fougères ou la mousse. Le tout est de le prévoir et de le favoriser.
Redécouvrir des saveurs
Le jardin devient un lieu de gourmandises, si l’on en cultive les ingrédients. Il s’agit là de cueillette spontanée que l’on pourra faire d’un fruit, d’une feuille. Les fruits rouges pour cela sont une excellente solution, qui attirent le regard lorsqu’ils mûrissent en profusion.
Il convient de choisir des fruits ou des feuilles aux textures souples pour les personnes qui souffrent de problème de déglutition.
Former des « murs gourmands » associant de la sauge, de l’oseille, de l’origan, de la menthe, des fraises et des fraises des bois, des mini-courgettes ou des cornichons et de la mâche ou du cresson en hiver…
Lorsque l’on dispose d’une serre ou d’un mini-tunnel, il est possible d’étaler cette offre sur une période plus large et d’enrichir le mur gourmand lorsque les plantes parviennent à maturité.
Un débat existe parfois, de savoir si le jardin doit être un marqueur des saisons.
Très certainement pour la vue, lorsque l’on offre des couleurs au printemps ou à l’automne, mais ce n’est pas essentiel non plus de faire porter intégralement au jardin cette mission pédagogique.
Si l’on peut expliquer, montrer comment on est parvenu à faire mûrir certains fruits en décembre, et que la gourmandise permet de préserver au jardin cette attraction du palais.
Profiter des sons
C’est le sens que le jardin sollicite le moins spontanément, et l’on apprécie particulièrement un espace pour son silence. Et pourtant que serait-il s’il était totalement silencieux.
La difficulté étant de trouver la juste mesure, entre l’amplification nécessaire pour atteindre une ouïe souvent défaillante, et l’exaspération que peut produire certains sons sur des humeurs fragiles.
Attirer les oiseaux, favoriser des espaces de nichement et amplifier les sons qui s’en dégagent…
Planter des massifs mellifères et favoriser le bourdonnement des abeilles, amplifier le bruit d’une source si elle ne présente pas de risque de sécurité ou de stimulation de miction chez des personnes incontinentes, former des toits où résonnera le martèlement d’une pluie, disposer des plantes qui amplifieront le bruissement du vent dans les feuillages.
Les matières du jardin
Il n’est pas que les plantes pour former cette expérience des sens.
Jardin sensoriel: le toucher :
Le choix de pierres aux formes lisses ou rugueuses, l’utilisation du bois, du métal dont la surface offrira des expériences différentes.
Un toucher qui donnera une sensation de chaleur lorsque la matière aura séjourné longtemps au soleil, ou de froid au petit matin ou lors des saisons hivernales.
Il n’est pas nécessaire d’utiliser trop d’artifices pour cette expérience de matières et le mieux est sans doute de faire preuve de créativité et d’imagination pour que ces aménagements émergent dans le jardin de la façon la plus naturelle possible.
Jardin sensoriel: l’ouïe:
Le carillon tintant au vent, est sans doute un piège qu’il convient d’éviter, comme il convient d’éviter les dispositifs sonores qui bruisseraient spontanément et sans contrôle, particulièrement pendant la nuit.
Chez certaines personnes fragiles, un son répété et continu peut conduire à l’exaspération ou une sur-stimulation ouvrant à des troubles du comportement. Il en est ainsi des fontaines japonaises shishi odoshi ou de ces carillons suspendus qui tintent jour et nuit par période de grands vents.
La présence d’instruments de musique aux sonorités douces et harmonieuses, à l’ergonomie adaptée peut être une chance dans un jardin correctement agencé.
Jardin sensoriel: la vue:
Outre le végétal, le jardin est le lieu où de nombreux aménagements sont possibles dès lors qu’ils se justifient, que leur budget est compatible avec les enjeux du lieux. L’enrichissement du jardin se fondent sur de nombreux modules qui peuvent conduire à des activités adaptées tant sur le plan thérapeutique que le bien-être.
En offrant de l’ombre sous une pergola, en structurant l’espace sur des perspectives allongées, en évitant l’enfermement par des clôtures opaques, le concepteur peut valoriser de nombreuses matières qui donneront au jardin sa pleine dimension bienveillante et sensorielle.
La présence d’oeuvre d’art peut être une expérience sensorielle et émotionnelle vertueuse dès lors qu’elle n’est pas purement conceptuelle. L’équipe du CHU de Nancy a travaillé pendant plusieurs années sur l’intérêt de créer des espaces artistiques par l’aménagement de sculptures.
La présence de miroirs lorsqu’elle est correctement ajustée peut être l’occasion d’amplifier des effets de couleurs, de reflets, de lumières.